La Campagne de France

 

 

La drôle de guerre 

Il n’est nullement dans notre intention de développer escadrille après escadrille, l’historique et le suivi de chacune des formations que compta l’Aéronautique navale avant et durant la période que l’on nomme "la campagne de France" (mai et juin 1940).

Il faut se souvenir que jusqu’au 10 mai 1940 (date du déclenchement de l’offensive allemande), les missions principales confiées à l’Aéronautique navale, ont été : la protection de convoi, l’exploration en haute mer ou encore la surveillance côtière.

Dès la fin du mois d’août 1939 le plan de mobilisation est appliqué :

- Les escadrilles supplétives de surveillance côtière, sont armées. Ces unités formées à partir des sections d’entraînement des bases prennent une codification correspondant à leur région maritime (Exemples  1S2, 2S2, 2S3 etc…).

- Des réquisitions et transformations d’appareils civils de la compagnie Air France sont opérées (Latécoère 521, 522, 301, etc…)

- Des bases occasionnelles vont se créer à partir de 1940 sur divers aérodromes (Berck, Deauville, Saint Trojan, Boulogne ….)

- Les réservistes sont rappelés.

- Enfin (mais un peu tard)  un rééquipement en avions modernes se fera à partir de mai 1940.

Hormis la mise en armement en septembre 1939 des sections d’entraînement, les 8 mois précédant l’offensive allemande de mai 1940 voient la naissance de nouvelles escadrilles :

- E11 le 3 septembre 1939

- HB2 le 15 septembre 1939

- T3 le 15 septembre 1939

- E9 le 1er octobre 1939

- E10 le 22 novembre 1939

- AB3 le 1er décembre 1939

- AC3 le 1er décembre 1939

- 8S4 le 20 décembre 1939

- AB4 le 1er janvier 1940

- T4 le 15 janvier 1940

- 8S3 le 1er février 1940

C’est à compter du 10 mai que les escadrilles de chasse, de torpillage ou de bombardement se trouveront engagées directement avec l’ennemi. Quelques unes de ces unités dotées d’un matériel aérien généralement obsolète, et face aux vagues d’avions allemands du dernier cri, subiront des pertes extrêmement lourdes en aéronefs et hommes d’équipage. Notons à ce sujet, que l’Armée de l’Air de son côté, n’eut rien à nous envier...

Présentation des formations de l’Aéronautique navale à la date du  10 mai 1940 

Type de mission Formations Aéronefs Lieu de stationnement

Chasse

(ex flottille F1C du BEARN)

 

AC1

AC2

AC3

Potez 631

Potez 631

Bloch 151

Calais

Calais

Hyères puis Cuers

Bombardement

(ex flottille F1A du BEARN)

 

 

 

--------------------

Bombardement

 

 

 

 

AB1

AB2

AB3

AB4

------------------------------

B1

B5

1B1

HB1

HB2

Vought 156F

Loire Nieuport 40

Vought 156F

Loire Nieuport 411

-------------------------------

LeO H257 bis

Farman 223.4

LeO H257 bis

Latécoère 298

Latécoère 298

Hyères (Entraînement)

Berck

Boulogne-Alprech

Berck

-----------------------------

Port Lyautey (Maroc)

Lanvéoc Poulmic

Lanvéoc Poulmic

Karouba (Tunisie)

Karouba

Torpillage

 

T1

T2

T3

T4

Latécoère 298

Latécoère 298

Latécoère 298

Latécoère 298

Karouba

Boulogne sur mer

Boulogne sur mer

Berre

Exploration

E1

E2

E3

E4

E5

E6

E7

E8

E9

E10

E11

Breguet Bizerte

Breguet Bizerte

Breguet Bizerte

Laté 301 et 302

Breguet Bizerte

Laté 521-522-523

Loire 70

1 CAMS 141 (Antarès)

Breguet Bizerte

Farman 222

LeO H470

Port Lyautey (Maroc)

Lanvéoc Poulmic

Karouba

Dakar (Sénégal)

Port Lyautey (Maroc)

Lanvéoc Poulmic

Karouba

Lanvéoc Poulmic

Berre

Algérie

Karouba

Surveillance

1S1

1S2 (Esc. Supplétive)

2S1

2S1 (en partie)

2S2 (Esc. Supplétive)

2S3 (Esc. Supplétive)

2S4 (Esc. Supplétive)

3S1

3S2 (Esc. Supplétive)

3S3 (Esc. Supplétive)

3S4 (Esc. Supplétive)

3S5 (Esc. Supplétive)

3S6 (Esc. Supplétive)

4S1

4S2 (Esc. Supplétive)

HS1

8S2

8S3

8S4

8S5

Loire130 –Laté 298

Laté 290 – GL 812

CAMS 55

CAMS 55

CAMS 37

PL 10 – PL 101

PL 101

LeO H43

LeO C301

GL 812

Farman NC 470

LeO H43

PL 15

CAMS 55

CAMS 55 – LeO 258

Loire 130

Loire 130 – GL 812

Loire 130

Loire 130

CAMS 37 – CAMS 55

Cherbourg

Lorient

Lanvéoc

Saint Trojan

Saint Trojan

Hyères

Saint Nazaire

Saint Mandrier

Deauville

Berre

Berre

Saint Mandrier

Aspretto

Karouba

Karouba

Arzew (Algérie)

Fort de France

Dakar (Sénégal)

Tripoli (Liban)

Fare Uté (Tahiti)

 

La bataille de France

Dans le chapitre consacré au P.A BEARN et ses escadrilles, nous avions vu, lors de la déclaration de guerre en 1939, ses unités débarquer. Les 2 flottilles, l’une de chasse (F1C, composée des escadrilles AC1 et AC2) et l’autre de bombardement et reconnaissance (F1A, dotée des escadrilles AB1, AB2, AB3 et AB4) vont être progressivement stationnées dans le Pas de Calais.

La flottille de chasse est implantée à Calais-Marck, sous les ordres du Capitaine de Corvette Edouard JOZAN. Ses 2 escadrilles sont armées en bimoteurs Potez 631 en provenance de l’Armée de l’Air. L’AC1 est commandée par le Lieutenant de Vaisseau Michel  FERRAN, et l’AC2 par le Lieutenant de Vaisseau Albert FOLLIOT.

La flottille de bombardement sous le commandement du Capitaine de Corvette Pierre CORFMAT, elle aussi implantée dans le nord de la France, comprend progressivement 4 escadrilles : Deux, armées en Vought 156F (l’AB1 commandée par le LV Gérald MESNY, et l’AB3 par le LV Robert PIERRET), les 2 autres sont dotées de Loire Nieuport 401 et 411 (l’AB2 commandée par le LV Jean LORENZI, et l’AB4 par le LV Francis LAINE).

Une flottille, la F5T, non originaire du P.A BEARN se trouve basée à Boulogne sur mer. Armée en hydravions torpilleurs Latécoère 298 et sous le commandement du CC Jean SUQUET, ses 2 escadrilles T2 et T3, sont commandées respectivement par le LV Jacques LAMIOT et le LV Paul MARRAUD.

Avant d’expliquer quel fut le rôle des escadrilles de l’Aéronautique navale en mai et juin 1940, il faut retracer ce que fut la bataille terrestre. Le texte ci-dessous a été emprunté à un volume se rapportant à la seconde guerre mondiale :

"L’attaque allemande a lieu le 10 mai 1940, à l’heure prévue. La Hollande et la Belgique sont bombardées et envahies ; l’Allemagne veut ainsi, d’une part, s'approcher des côtes anglaises et d’autre part attirer loin de l’Ardenne le gros de l’armée française. Tout se déroule comme l’a prévu le plan allemand. Dès l’attaque allemande, le gouvernement belge appelle au secours l’armée française. Le groupe d’armées du Nord est poussé en Belgique, et même avec la 7ème armée du général GIRAUD, en Hollande, mais pour réaliser cette manœuvre, le haut commandement français a doté son aile marchante de son meilleur armement, près de la moitié des divisions dont il dispose, 6 divisions motorisées sur 7, 4 divisions de cavalerie sur 5, les meilleurs soldats et les meilleures armes.

Les allemands, par leurs bombardements en piqué, ont obtenu des effets considérables. Ils ont saisi les ponts essentiels, et employés judicieusement les parachutistes. Aussi vont-ils beaucoup plus vite que prévu. Le 15 mai, alors que la reine Wilhelmine part pour l’Angleterre, le Général en chef hollandais donne l’ordre de déposer les armes. L’armée française est surprise en pleine marche, avant qu’elle ait atteint les positions fixées. Au même moment, l’attaque allemande se produit dans la Meuse. Forte de 40 divisions, dont 7 « Panzer » , elle ne trouve pour lui résister que 18 divisions mal armées, le plus souvent formées de réservistes, manquant de moyens de transport rapide. Les attaques en piqué de Stukas démoralisent les soldats surpris dans leur mouvement ; les allemands franchissent la Meuse à Sedan le 14 mai au soir, et constituent bientôt à l’Ouest de Dinant, une tête de pont de plus de 15 km de profondeur. Non seulement l’armée CORAP est volatilisée, mais l’armée HUNTZIGER est elle aussi, bousculée par l’attaque des blindés de GUDERIAN. Tandis que CORAP donne l’ordre de retraite aux 3 divisions qui lui restent, HUNTZIGER se replie sur la ligne Maginot. Il ne reste plus à l’armée allemande  qu’à pousser les deux battants de la porte qui viennent de s’ouvrir. Ainsi brusquement, après l’inaction de la drôle de guerre, la bataille commence.

A peine est-elle commencée qu’elle est perdue. Les hommes se remettent mal de la surprise que leur cause l’aisance de l’avance allemande, de la peur que provoquent les Stukas. Aussitôt, ils critiquent le commandement et dénoncent la « cinquième colonne ». Les chefs sont surpris par l’évènement auquel ils n’avaient pas voulu croire, CORAP, bouc émissaire, est remplacé par GIRAUD, mais celui-ci est fait prisonnier avant d’avoir pu agir. Le général TOUCHON, chargé de colmater la brèche, lance vainement des troupes fraîches. Ses forces sont battues en détail. Le 16 mai, Paris affolé, s’attend à voir les allemands arriver dans la soirée. Le 17, on constate que le mouvement allemand s’infléchit vers le Nord-Ouest, pour envelopper l’aile gauche. Aussi REYNAUD profite-t-il du répit pour remanier son ministère et, par souci de rassurer l’opinion publique en s’abritant derrière de grands noms, il appelle comme ministre d’Etat le Maréchal PÉTAIN, et nomme WEYGAND au commandement suprême des armées.

Pendant ce temps les allemands ont atteint Amiens et Abbeville, et le sort des armées du Nord est de plus en plus compromis. Le Général en chef anglais, Lord GORT, ne croit plus au succès et, le jour fixé pour la bataille, prend sur lui d’abandonner le plan Weygand et de reculer de 40 km dans la région d’Arras pour rapprocher sa petite armée des ports de la Manche. L’offensive française est dès lors condamnée. Le 28 mai l’armée belge cesse le combat. L’arme française abandonnée des Belges et ne recevant plus des anglais qu’un secours réticent, renonce à l’espoir de se frayer un chemin vers le Sud. Dès lors c’est la ruée vers Dunkerque et ses navires. L’embarquement d’une partie des troupes est rendu possible par la belle défense de la place que dirigent le Général FAGALDE et l’Amiral ABRIAL, chef du camp retranche. 235.000 anglais et 115.000 français réussissent à se sauver, mais tout le matériel est perdu.

Tandis que les allemands regroupent leurs forces, la France tente hâtivement de se réorganiser politiquement et militairement. DALADIER est alors éliminé du ministère et Charles DE GAULLE y entre comme sous-secrétaire d’Etat. Militairement, WEYGAND essaie hâtivement d’organiser une ligne Somme-Aisne. Mais les allemands ont  massé 138 divisions dotées d’un matériel important et les Français n’ont plus que 60 divisions mal armées et déjà résignées à la défaite. L’attaque allemande se déclenche le 5 juin, avec 3 pointes offensives sur Rouen, Senlis/Paris, et Dijon. Notre front est percé le 6 juin sur la Somme et le 7 juin sur l’Aisne.

C’est à ce moment là que l’Italie fasciste nous donne un coup de poignard dans le dos, en nous déclarant la guerre le 10 juin.

Le gouvernement quitte Paris pour Bordeaux. Les civils se lancent sur les routes dans une fuite éperdue. C’est l’exode. Paris tombe le 14 juin. La défaite est consommée."

 

Les opérations de la F1A

(1ère flottille de bombardement en piqué)

Le 10 mai 1940, les bombardiers Heinkel 111 de la Luftwaffe  lors du déclenchement de l’offensive allemande, attaquent les terrains d’aviation. Celui d’Alprech bombardé, voit son hangar principal voler en éclats en compagnie des douze Vought de l’escadrille AB3 qu’il abritait. Cette destruction totale des appareils de l’AB3 conduit l’AB1, qui se trouvait en entraînement à Hyères, à interrompre immédiatement celui-ci et à regagner Alprech le 13 mai. Le personnel de l’AB3 sorti indemne du bombardement allemand sur Alprech, rejoint alors Lanvéoc-Poulmic et réceptionne 11 nouveaux Vought qui rejoignent Querqueville près de Cherbourg le 23 mai.

Ecoutons Gérald MESNY (à la tête de l’AB1 en 1940 et futur commandant du P.A LA FAYETTE de 1960 à 1961) :

"La première mission a lieu le 16 mai. Un groupe composé de l’AB1, de Loire Nieuport des AB2 et AB4 basés à Berck  et de Potez de la 1ere flottille basée à Calais, attaque un pont de canal en Hollande. Résultats inconnus. Les missions se succèdent ensuite à raison d’une ou deux par jour en se rapprochant très rapidement. Le 17 mai, 2 avions non rentrés après une attaque de nuit dans la région de Flessingue. Le 20 mai, les 10 avions restants (de l’AB1)  décollent de jour pour attaquer un pont à Origny, près de Saint Quentin. Ils doivent être accompagnés par quelques Loire Nieuport venus de Berck et couverts par une escorte de chasse anglaise avec laquelle ils ont rendez vous à mi-route. Le temps est beau, avec quelques cumulus, la visibilité excellente. L’armement emporté est de 2 bombes de 150 kg sous les plans, permettant le bombardement en piqué à la verticale.

Les Loire Nieuport, moins rapides suivent de loin, orbités pendant une dizaine de minutes au rendez vous avec la chasse anglaise sans voir personne, renoncent alors à cette couverture et continuent vers l’objectif. A une cinquantaine de km de Saint Quentin, un groupe de Messerschmitt 109 nous attaque et la formation se disperse en cherchant un abri dans les cumulus. Lorsque je sors d’un nuage au bout de quelques minutes, le ciel est vide, 5 avions de l’AB1 ont été descendus, les autres ont disparu et ne peuvent être ralliés faute de radio. Les Messerschmitt ont aussi disparu. Je continue sans autre incident jusqu’à l’objectif pour lâcher mes bombes, résultat inconnu. Les Loire Nieuport, grâce à leur retard, atteignent aussi l’objectif et bombardent.

Au retour de cette mission, l’AB1 ne comptait plus que 5 avions sur 12. Le lendemain 21 mai, les troupes allemandes approchant de Boulogne, 4 avions vont atterrir  à Dunkerque-Mardyck. Dunkerque est entièrement investi et le 22 nous repartons pour Cherbourg en lâchant des bombes au passage sur une colonne ennemie. Le 23, bombardement du fort de la Crèche à Boulogne, où nous sommes la cible de la DCA des torpilleurs français. Jusqu’à la fin du mois de mai, séjour à Cherbourg sans opérations avec nos 4 avions restants. Nous touchons un 5ème avion armé avec un équipage descendu lors de l’attaque d’Origny. Le 1er juin, les 5 avions sont envoyés à Tangmère (Chichester) d’où ils repartent aussitôt pour bombarder un objectif au Sud de Dunkerque. Le 9 juin, bombardement d’une colonne motorisée près de Rouen. Le 10 juin, bombardement d’un pont sur la Seine à Elbeuf.

Après 2 missions de bombardement dans le Cotentin le 18 juin, départ vers Hourtin puis arrivée le 24 juin à Saint Laurent de la Salanque.

Le bilan de nos actions durant cette période a été inefficace en raison d’un manque de préparation à ce type d’opérations tant de notre côté que de celui des Etats-majors. L’Etat-major de Dunkerque  dont nous recevions les ordres au début, est désorganisé à partir du 22 mai et les quelques appareils restants ne sont plus employés que spasmodiquement pour des missions généralement si mal définies qu’elles se terminaient par des lâchers de bombes à peu près au hasard"

Ecoutons maintenant un autre pilote de l’escadrille AB1, narrant  sa mission lors du bombardement du pont d’Origny :

"A la sortie des nuages, je ne retrouve pas l’escadrille, mais j’aperçois au bout d’un certain temps l’objectif, le pont d’Origny, que j’attaque en semi piqué. Ensuite je fais route pour regagner Boulogne et j’oblique vers le Sud pour survoler les lignes amies. Bien mal m’en a pris. Je suis attaqué par des chasseurs que je n’avais pas vu venir. Mon aileron droit vole en éclats, je tiens pourtant ma ligne de vol mais reste très handicapé pour éviter les attaques. A chaque passe je vois le tableau de bord se trouer par les balles. Je pique à grande vitesse, les chasseurs ne me lâchent pas. Mon équipier me prévient qu’un réservoir est troué et qu’il est en feu. Sans hésitation je me présente pour me poser sur le ventre dans une prairie. En fin de palier, je largue ma ceinture et je saute à terre et au même moment je suis abattu par une ultime passe de la chasse. Je suis touché aux bras et aux jambes, mais je me relève. Une camionnette militaire amie vient me ramasser. C’était le 20 mai 1940 vers 18 heures. Je suis évacué à Compiègne où je passe sur le billard."

Autre témoignage :

"Dans la journée du 18 mai, les 2 escadrilles de Loire Nieuport 40 (AB2 et AB4), recevaient l’ordre d’attaquer la concentration de chars allemands au carrefour de Berlaimont sur la Sambre. Le 19 mai, les avions décollent de Berck à 18h, 30. Route vers Berlaimont. A environ 50 km de l’objectif, les avions sont pris à partie par la Flak (DCA allemande) qui ne les lâche plus. C’est sous un feu extrêmement violent, une nuée d’obus de petit calibre et de balles traçantes, qu’à 19 heures, 30, ils piquent de 1200 à 300 mètres et lâchent leurs bombes sur le carrefour désigné. Chacun dégage ensuite de son mieux dans la fumée des bombes, canonnant et mitraillant les convois sur la route et les chars dispersés dans deux grandes prairies. Sur le chemin du retour, ils sont à nouveau attaqués par la DCA allemande (et même française et anglaise…). Vers 20 heures 30, six appareils seulement atterrissent à Berck, percés de balles, d’éclats d’obus, l’un d’entre eux avec une dérive complètement déchiquetée. Les autres ont été descendus à Berlaimont et sur la route du retour.

Les équipes de non-volants se mettent dans la nuit au travail sur les appareils touchés, et le 20 mai l’ordre était donné aux 3 Loire Nieuport disponibles de se joindre aux Chance Vought de l’AB1 afin de détruire le pont d’Origny. »

Citations à l’ordre de l’armée de mer :

"L’Amiral de la Flotte, commandant en chef des forces françaises, cite à l’ordre de l’Armée de Mer, l’escadrille AB2 commandée par le LV LORENZI et l’escadrille AB4 commandée par le LV LAINE, pour la hardiesse sublime dont elles ont fait preuve le 19 mai 1940 sur le front des armées, en pulvérisant à courte portée l’objectif assigné, au prix de la moitié de leurs effectifs."

Une autre citation à l’ordre de l’armée de mer en date du 24 mai 1940 (1197 FMF.3) intéresse l’AB1 et l’AB2.

Notons pour clore ce chapitre, que les noms de Berlaimont et Origny, ont été donnés après guerre à deux  bâtiments de la Marine nationale.

 

Les opérations de la F1C

(1ère flottille de Chasse composée des escadrilles AC1 et AC2)

Surpris par l’attaque surprise du 10 mai 1940, les pilotes de la flottille sous les bombes ennemies, ne réussissent à faire décoller que 4 de leurs appareils et s’opposent vainement  aux Heinkel 111. La première victoire aérienne de l’Aéronavale est néanmoins réalisée ce jour, lorsque l’EV DE SCITIVAUX abat au dessus de la Hollande, un Junkers 52.

Le lendemain 11 mai, le CC JOZAN et l’EV GRAIGNIC, abattent chacun de leur côté un Heinkel 111. Au cours de cet engagement deux des Potez 631 de la flottille sont abattus (Décès du Maître SAMERY et du QM LE MARESQUIER).

Par la suite, la flottille est utilisée en de nombreuses missions de protection et d’escorte pour les Loire Nieuport 401 qui attaquent des objectifs (notamment dans l’île de Walcheren le 16 mai).

Le 18 mai, deux appareils de l’AC2 décollent afin d’intercepter des Junkers qui attaquent une flottille de torpilleurs devant Nieuport. Après avoir abattu chacun un Stuka, le maître DUPONT et le SM DOMAS sont à leur tour abattus par des Messerschmitt. Bilan 3 morts : DUPONT, DOMAS et le SM  LE THOMAS.

Le 21 mai la flottille reçoit l’ordre de se replier sur Querqueville.

A compter du 2 juin, un détachement de personnel est envoyé à Toulouse afin de réceptionner les nouveaux appareils destinés à remplacer les Potez, il s’agit en l’occurrence de Dewoitine 520. Ce remplacement ne s’effectue que le 19 à Rochefort.

Le 17 juin ayant décollé de Cherbourg pour une dernière mission , l’EV JACOUBET et le maître mitrailleur SCOUEZEC sont abattus entre Caen et Lisieux par des avions allemands. Le nom de JACOUBET sera porté après guerre par un aviso de la Marine nationale.

Le 18 le restant de la flottille (avec les Potez) évacue Querqueville pour Rochefort, via Lanvéoc Poulmic. Au cours de ce trajet un Potez et un Bloch 151  en approche de Lanvéoc-Poulmic sont abattus par erreur par la DCA de Brest.

A nouveau opérationnelles avec les Dewoitine 520 dès le 19 juin, les deux escadrilles reçoivent l’ordre le lendemain de se replier sur Hyères, d’où elles s’envolent le 24 de ce mois à destination de l’Algérie.

Témoignage de l’Amiral Louis CASSE  (officier pilote, puis commandant de la 1AC à compter d’août 1940) :

"Pendant la drôle de guerre du 3 septembre 1939 au 10 mai 1940, et au début de la bataille de France, les deux escadrilles de chasse AC1 et AC2 ont été basées, la majeure partie du temps sur un terrain de fortune : l’aérodrome de Calais-Marck, à 8 km de Calais et à 25 km de Dunkerque. Inutile de rappeler les évènements historiques du 10 mai 1940 qui mirent fin brusquement à la drôle de guerre.

A quatre heures du matin, ceux qui n’étaient pas d’alerte furent réveillés par un bombardement massif et d’une précision remarquable de notre terrain ; nos appareils étaient dispersés dans la partie Nord. Par une chance extraordinaire, aucun avion n’a été endommagé gravement. ; les bombes sont tombées au centre de l’aérodrome. Ce fut alors le branle-bas général. Le commandant JOZAN décolla le premier avec tous les pilotes disponibles, car on pouvait s’attendre à de nouvelles vagues d’assaut, ce qui se produisit d’ailleurs. Très rapidement, la 1ere flottille de chasse intercepta une formation de Messerschmitt 110 et ce fut le premier grand combat. Dans la mêlée qui en résulta, la cohésion de nos formations fut rapidement brisée et l’on vit même le commandant JOZAN battre furieusement des plans (ordre de ralliement) à côté d’un Messerschmitt 110 dont le pilote ne devait pas en croire ses yeux.. Plusieurs avions allemands furent descendus ; un de nos POTEZ fut abattu. C’est ce jour là que l’EV DE SCITIVAUX, attaquant et abattant un Junkers, reçut une balle explosive dans le bras gauche ; malgré sa blessure grave, il réussit avec une énergie extraordinaire, à ramener son appareil à Calais. A peine arrivé au sol, il s’évanouit dans la carlingue.

A partir de ce jour nous ne connaîtrons plus le repos. Levés à 3 heures du matin du matin, nous faisions quelques fois 3 sorties par jour et par pilote. L’une d’elles qui se faisait sur Bloch 151 était la patrouille dite « de l’aube » où nous décollions avant le lever du jour. Je l’ai accomplie plusieurs fois sans jamais rencontrer un seul Allemand. D’une manière générale nos missions à priori ne donnaient guère de résultats positifs : on aurait crû que l’ennemi était renseigné sur tous nos mouvements. En réalité, je crois que le plan d’invasion de la Hollande était très bien conçu et le commandement allemand dosait judicieusement ses attaques en fonction de la situation tactique du moment.

Peu de temps avant le 21 mai, la Belgique succombait déjà devant l’avance foudroyante des blindés allemands et nos interventions avaient lieu sur la ligne de front. Au cours de l’une d’elles j’étais en patrouille avec 2 sections de trois avions avec le LV FERRAN chef de dispositif, à une altitude voisine de 3000 mètres où nous nous trouvâmes pris sous un feu nourri de DCA. J’étais, je l’avoue un peu inquiet et trouvais le temps long. Quand mon chef prit enfin la décision de dégager, j’éprouvai un réel soulagement.

La suite de la mission comportait un mitraillage des troupes au sol. Je n’oublierai jamais la vision dans le collimateur , d’hommes vêtus d’uniformes verts, à peine visibles, courant dans tous les sens à la recherche d’un abri, fuyant le tir de nos armes : A chacun son tour d’être la cible !

Ce début de la campagne de France a été, hélas bien rapide pour nous, il n’a duré que 11 jours. C’est le 21 mai, dans la marinée, que nous avons reçu l’ordre de repli sur Cherbourg. Quand notre dernier avion a décollé, les blindés allemands arrivaient en bordure de l’aérodrome.

A l’aube de ce 21 mai, nous avions été gratifiés d’un sévère bombardement dont je me rappelle certains détails précis. L’alerte n’avait pas été donnée et je me trouvais sur l’aile de mon Potez, absorbé par une vérification quelconque avec mon mécanicien, lorsque soudain, nous entendons les sifflements caractéristiques des bombes dans leur trajectoire descendante. Nous bondissons dans un fossé : c’était le seul genre d’abri existant sur cette base. Une bombe a du tomber assez près, car mon avion est couvert de terre, et nous-mêmes recevons quelques éclaboussures. Après un rapide nettoyage de l’avion, l’ordre d’évacuation est donné 2 heures après. Je garde de ce moment un souvenir très pénible et je reverrai toujours le regard triste des mécaniciens non volants que je ne pouvais embarquer et qui me voyaient partir vers la liberté, alors qu’ils se demandaient quel sort les attendait : la captivité sinon la mort."

En marge des escadrilles AC1 et AC2, il faut se rappeler qu’une troisième, l’AC3,  était stationnée à Cuers-Pierrefeu en mai et juin 1940. Créée en décembre 1939, cette dernière est armée en Bloch 151 à compter d’avril 1940.

Le 10 juin l’Italie nous déclare la guerre.

Le 14 de ce mois, 9 avions de l’escadrille effectuent une mission de protection de l’escadre qui bombarde des objectifs italiens dans les environs de gênes. Le lendemain en représailles, 27 Fiat 42 du groupe de chasse d’Albenga attaquent et bombardent nos terrains (Six Vought de l’AB3 sont détruits au sol).  Les Bloch 151 de l’AC3 décollent alors de Cuers. Deux d’entre eux sont abattus au cours de ce décollage (pilotes : sur l’un, un moniteur de l’armée de l’air HOURCADE qui décède, et sur l’autre le second-maitre Marcel LE BIHAN).  Ce dernier, blessé, et aux commandes de son appareil gravement endommagé, percute alors volontairement un FIAT italien, et s’écrase ensuite près du village de Rocbaron.  Transporté à l’hôpital de Brignoles, il y décède quelques heures plus tard.

Deux bâtiments de la Marine nationale ont porté après guerre, le nom du second-maître LE BIHAN.

 

Les opérations de la flottille F5T

(composée des escadrilles de torpillage T2 et T3)

 

Ces deux escadrilles  armées en Latécoère 298, et basées à Boulogne sur mer, assurent des missions de surveillance, de recherches de sous-marins ou encore d’escorte de convois. Elles sont basées ensuite à Cherbourg à compter du 21 mai.

Voici pour information, une partie du témoignage du CF (R)  Jacques LAMIOT (LV, commandant la T2 en 1940) :

"A cette époque nous étions placés sous les ordres de l’amiral  « Nord » dont l’état –major  installé à Dunkerque, ne comprenait malheureusement aucun aviateur…  La Marine, forte, intacte et inutile sur mer, se dépense généreusement mais d’une façon désordonnée. Les escadrilles de l’aéronautique navale n’échappent pas à la règle. Celles de l’aviation embarquée, réparties sur les petits aérodromes de Calais, Boulogne, sont clouées au sol sous les décombres de leur hangar bombardé, ou décimées par les réactions inattendues de la Flack au cours de missions hasardeuses. Les Latécoère des escadrilles de torpillage assurant la permanence dans le secteur Pas de Calais, sont constamment bombardés sur le plan d’eau de Boulogne. Dès le 21 mai, les derniers sont repliés sur Cherbourg. Le même jour, la préfecture maritime les envoie faire des reconnaissances offensives sur la Somme. Avec leurs 2 bombes de 150 kg faites pour percer des ponts cuirassés, et leurs 2 mitrailleuses d’aile, nos appareils ne sont pas très adaptés à la lutte anti-char. Tout de suite nous nous heurtons à une Flack invisible, seule preuve de la présence ennemie, qui laisse des traces sur nos appareils. Le même jour, un groupe de 6 de nos Laté surprend un groupe important de Heinkel bombardant Dieppe. De grandes colonnes de fumée s’élèvent de la ville, un navire hôpital est en feu dans le port : pas de chasse ni de DCA pour les contrer ; ils bombardent tranquillement en demi piqué comme à l’exercice, quand nous survenons. Nous voilà transformés en chasseurs et fonçons de toute la puissance de nos 1000 cv. L’exercice des Heinkel est interrompu, mais ils filent plus vite que nous et les salves que nous tirons de trop loin n’ont pas du leur faire beaucoup de mal.

Le surlendemain, la pression allemande s’aggravant, la préfecture maritime, dans son désir bien légitime de faire quelque chose, donne l’ordre à mon escadrille au grand complet d’aller détruire une colonne allemande qui se promène quelque part entre Abbeville et Boulogne, tout simplement. J’ai la naïveté de demander des précisions sur les renseignements que l’on pourrait avoir de l’ennemi ! Le chef d’Etat-major n’en a aucun. Comme j’insiste et essaie de lui montrer le peu de chance de réussite d’une telle entreprise avec si peu de renseignements et nos moyens que je sais mal adaptés, il s’emporte et fulmine contre ces aviateurs qui ne servent à rien et demandent des renseignements sur l’ennemi, alors qu’on leur donne l’ordre tout simple de l’attaquer et de le démolir…. Déconfit devant cette réaction inattendue, j’obtiens cependant l’autorisation de fractionner mon escadrille en 3 vagues. Je pars avec la première (4 Laté) à la recherche de cette fameuse colonne blindée dont je ne connais ni la situation, ni même les marques distinctives et ne sachant pas davantage si des troupes amies se trouvent dans les parages. Abordant la côte à Boulogne, nous survolons la route qui va vers Abbeville. Nous avons beau écarquiller les yeux, nous ne voyons aucune trace de vie, ni amie ni ennemie. Revenant vers Boulogne et volant à 1000 mètres d’altitude, nous voilà tout à coup environnés d’éclatement d’obus d’une Flack que nous n’arrivons pas à repérer. Mon mitrailleur arrière me montre alors les éclairs des départs loin derrière nous. A défaut de blindés nous allons attaquer cette batterie installée au sommet d’une colline. Mais pendant que nous avions les yeux rivés au sol, j’avais négligé une file de chasseurs assez lointaine et que sur la foi des assurances qui m’en avaient été faites au départ, j’avais pris pour de la chasse anglaise, supposée défendre ce secteur. Je me trouve alors environné de trajectoires de balles traçantes. Une fraction de seconde de surprise passée et il est déjà trop tard. Nous voilà tous les 4 rayés des effectifs ! Non pas tous, car mon 4ème sectionnaire a pu s’échapper dans les nuages et rentrer malgré son mitrailleur tué. Analysons cette fâcheuse expérience : mission mal préparée, manque de renseignements élémentaires, moyens inadaptés, méconnaissance de l’armement adverse, utilisation d’armes inefficaces pour la mission donnée. Les deux autres vagues de mon escadrille, parties plus tard, eurent des missions plus précises de bombarder des points bien définis de la côte dans le même secteur et rentrèrent mission accomplie, sans avoir rencontré d’opposition ennemie.

A partir de ce moment, relativement impuissants devant les évènements, notre activité fut réduite à des missions de reconnaissance côtière.

Le 18 juin nous recevons l’ordre de rallier Brest où nous nous posons sur le plan d’eau de Lanvéoc Poulmic. Puis nous filons sur Hourtin. Le lendemain nous sommes expédiés à Berre, où après avoir fait provision de petit matériel de rechange, nous faisons route sur Bougie à l’Est d’Alger."

Nota : L’escadrille T3 après l’armistice de juin 40 restera à Berre et sera dissoute en novembre 1942.

 

La Marine française bombarde Berlin

Le FARMAN 223.4 "Jules Verne"

"Une formation de l’Aéronavale a bombardé cette nuit Berlin avec succès. Tous les appareils ont regagné leur base."

Ce communiqué officiel fut diffusé sur les ondes de la radio française le 8 juin 1940. 

Formation ?... En réalité ce bombardement fut effectué par un seul et unique appareil, le Farman 223.4 baptisé Jules Verne, avion corsaire destiné à être intégré avec 2 autres appareils de son type (Le Verrier et Camille Flamarion), dans une escadrille dénommée B5 et qui ne vit jamais le jour (Le Verrier et Flamarion n’eurent pas le temps d’être militarisés).

Cet avion avait été conçu en 1937 afin de servir comme long courrier transatlantique pour la compagnie Air France.

En octobre 1939, la Marine nationale s’intéressa à ce gros appareil afin de pouvoir l’utiliser en haute mer pour l’exploration.  Réquisitionné, il fut militarisé à Toussus-le-Noble. Les moteurs d’origine furent changés par d’autres plus puissants, et 8 râteliers furent accrochés sous le ventre de l’appareil pour emporter des bombes de 250 kg. De plus, l’avion reçut un viseur pour lancer les dites bombes et il fut équipé de réservoirs supplémentaires.

Le 6 mai 1940, le Jules Verne rejoignit son affectation à Lanvéoc Poulmic.  Son équipage était composé des : CC DAILLIERE, EV COMET,  Mtre YONNET co-pilote, Mtre SCOUR radio, Mtre CORNEILLET mécanicien,  et SM DESCHAMP mitrailleur bombardier.

Dans la nuit du 10 au 11 mai lors du déclenchement de la Blitzkrieg, le Jules Verne prend son envol et va bombarder les ponts de Maëstricht, et lors de son retour il en profite pour en faire profiter également Aix La Chapelle. Les nuits suivantes des missions sur Walcheren, Aix La Chapelle, Flessingue, Anvers sont à leurs tours effectuées.

Le 3 juin, le Jules Verne et son équipage escortent durant la journée le croiseur Emile Bertin qui transporte les réserves d’or de la banque de France vers la Martinique.

Le 6 juin, le Jules Verne étant à Bordeaux, le gouvernement accepte enfin le projet de DAILLIERE de bombarder Berlin. Le 7, l’avion est prêt, pleins de carburant effectués et 8 bombes fixées aux râteliers. Le Farman décolle de Mérignac et met alors le cap vers le Nord. Il survole ensuite les côtes hollandaises et danoises à la nuit tombée.  Parvenu à la verticale de Berlin du côté de la mer Baltique, il met alors cap plein Sud. Aux environs de minuit, l’appareil arrive sur son objectif et largue ses bombes, puis rentre sur Orly le 8 au matin. Les jours suivants, DAILLIERE renouvelle ses bombardements sur divers objectifs au dessus de  l’Allemagne.

On n’a jamais su avec certitude en quel lieu les bombes du Jules Verne étaient tombées. Les comptes rendus des bombardements de Berlin ne mentionnent pas le raid du 8 juin. Il est probable que les Français ont arrosé la grande banlieue  berlinoise. De toutes façons, ce bombardement était avant tout psychologique.